Revenons quelques années en arrière.
Les Prévert sont partis à Toulon durant l’hiver 1906, avec l’espoir pour le père André d’obtenir un hypothétique emploi qu’il ne décrochera finalement pas. La famille revient alors à Paris en 1907 et habite tout d’abord, après un rapide passage par un hôtel de la gare de Lyon, au 7 rue de Vaugirard, puis 4 rue Férou (voir nos deux premiers posts). Le salut viendra du grand-père paternel, le fervent catholique pratiquant Auguste Prévert (surnommé par Jacques “Auguste le Sévère”). Il offre un emploi à son fils André à l’Office central des oeuvres de bienfaisance.
André Prévert est alors chargé de la répartition des aumônes aux pauvres c’est-à-dire (écrira Prévert dans Choses et Autres. Folio, 1972) « On allait voir les pauvres que mon grand-père évoquait tous les dimanches avec une condescendante commisération« . Précisons qu’Auguste le Sévère est également marguillier à Saint-Nicolas du Chardonnet, la fameuse église traditionnaliste parisienne.
L’Office central des oeuvres de bienfaisance de Paris est situé à l’époque au 175 boulevard Saint-Germain, à l’angle de la rue des Saint-Pères, à quelques pâtés de maisons seulement des domiciles familiaux de la famille Prévert dans les années 10.
Visiter les pauvres et décider lequel d’entre eux mérite plus que les autres de recevoir de l’aide est une tâche bien délicate et éprouvante lorsque, comme André Prévert, on est soi-même dans la galère ! Jacques Prévert accompagne souvent son père le jeudi. « On allait partout, on entrait partout comme à la fête, mais une grande fête triste, sans musique et qui n’en finissait jamais… mais c’était toujours les rues des plus pauvres quartiers qui avaient les plus jolis noms. »
Prévert cite alors la rue de la Chine (décrite par Huysmann en 1880 ici), la fameuse petite rue du Chat qui Pêche, la rue des Fillettes à coté de la rue de l’Evangile où furent tournées quelques scènes du film Les Portes de la Nuit (Marcel Carné, 1946) dont il signa le scénario, la rue du Roi-Doré dont un récent incendie meurtrier (2005) nous rappelle la pauvreté et l’insalubrité qui sont toujours de mise dans certains quartiers de Paris, plus d’un siècle après les constats de Prévert ! « C’était sûrement les pauvres qui les avaient trouvés, ces noms, pour embellir les choses« .
Jacques Prévert évoque les Romanichels « toujours en voyage même quand ils restent là« , les chiffonniers aussi, mais ceux qu’il aime particulièrement ce sont les égoutiers.
« Ils avaient un travail mystérieux et dur et je les trouvais beaux quand ils marchaient tout droits, avec leurs grandes bottes noires, comme des seigneurs. Une fois j’en rencontrai trois, un gros, un maigre, un moyen et c’étaient tout à fait aussi souriants et aussi fiers, les trois mousquetaires. »
Et en 1910, Jacques Prévert a vécu la grande crue de Paris. Le VIe arrondissement fut bien touché, comme en témoignent les trois photographies du boulevard Saint-Germain prises à l’époque.
Le petit Jacques Prévert fut bien évidemment marqué par cette période de déambulations avec son père dans les quartiers pauvres de Paris. Sa sensibilité à la misère et au sort injuste enduré par certains prennent très probablement racine dans ces visites. Constamment, Prévert se tiendra à côté des opprimés et sa tendresse se tournera vers les plus démunis. Dans ses textes poétiques et cinématographiques, il ne cessera de leur donner la parole. Ces quartiers constitueront aussi plus tard le cadre de certains de ses scénarios.
En 1963, L’Office central des oeuvres de bienfaisance de Paris et le Musée social ont fusionné pour devenir la fondation CEDIAS-musée social. Ils sont situés au 5, rue Las Cases dans le VIIe arrondissement de Paris.
Ironie de l’histoire, le 175 boulevard Saint-Germain deviendra à la fin des années 80 la boutique de luxe phare et le siège social de la maison de prêt-à-porter Sonia Rykiel !
CREDITS
Aurouet Carole, Prévert, portrait d’une vie, Ramsay, 2007.
Courrière Yves, Jacques Prévert, Gallimard, 2000.
Gasiglia-Laster Danièle et Laster Arnaud , Œuvres complètes de Jacques Prévert, La Pléiade, 1992/1996.
Prévert Jacques, “Enfances”, in Choses et autres, Folio, 1972.
Le site de La Parisienne de Photographie / Paris en images grâce à qui nous avons trouvé cette photo des égoutiers chers à Prévert.
AUTRES LIENS
Sur le site de la BNF, vous pouvez lire l’ouvrage édité en 1912 « Paris charitable et bienfaisant » par l’Office central des oeuvres de bienfaisance, cliquez ici.
Jacques que j’aime de par la pureté de son verbe aux points où il est devenu ma source limpide de mon inspiration sur plusieurs poèmes que j’ai écrits tel que « le soleil des pauvres »
Jacques tu m’as appris que la poésie ne s’apprends pas sur les bancs de l’école, mais avec nos amis les éboueurs ceux qui aux sueurs de leur front avec les mauvaises odeurs gagnent leur pain quotidien
Les morts sont ceux qui ne savent pas souffrir la souffrance des éboueurs des mineurs comme Léo tu es encore là